Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/102

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elle-même Allan. Elle s’établit auprès de son lit et ne le quitta plus. Elle pansait sa blessure, lui donnait tout ce que le médecin voulait qu’il prît, et comme le plus souvent le malade, en proie à l’agitation et au délire, repoussait tout ce qu’on lui offrait, elle passait le jour, le cou tendu et l’œil fixe, à regarder cette tête bouleversée par elle et dans laquelle l’extinction de la pensée ne semblait précéder que de quelques instants celle de la vie.

Si l’air extérieur n’avait pas figé ce bronze en fusion autrefois, si madame de Scudemor avait arraché à la douleur sinon sain et sauf, au moins vivant encore, un des côtés de son âme, peut-être se serait-elle reprise à un de ces sentiments qui l’avaient rendue si malheureuse, et, pour la millième fois, la pensée et l’expérience auraient échoué contre l’incorrigible sensibilité de la femme. Mais, quand il n’y a plus une planche du vaisseau qu’elle a brisé que la passion roule dans ses vagues, quand l’imagination s’est éteinte dans le sang que le cœur a versé, on peut regarder sans défaillance l’être qui vous aimait mourir. On peut rester, sans danger, au bord du lit où chaque respiration de l’agonisant emporte la vie après elle, dans cette chambre chaude comme une serre de souffles humains, et dont le silence est troublé à peine par un pied posé avec précaution sur le tapis, un soupir de celui qui souffre ou de celle, trop émue, qui veille. On n’est plus soumise à la fascination de la souffrance, plus entraînante encore que celle de la Beauté. On ne s’abandonne plus à ces larmes à travers lesquelles on voit superbe, — plus superbe qu’on ne s’apparut à soi-même dans celles que l’on fit couler autrefois. On ne se livre point à ces folies qui montent, on dirait comme une contagion de ses délires, de l’haleine