Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/103

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fiévreuse du malade jusqu’à la tête qu’elles enflamment et courbent sur une main inquiète. On ne rêve point le bonheur dans le temps qui échappe, le bonheur qui rêve et qui jouit quand la créature souffre et expire. On ne se dit pas que des baisers mourants valent mieux que des baisers qui vivent, et qu’il est une volupté funèbre et désespérée — meilleure que les voluptés de la vie — à goûter sur la terre de la fosse, déjà creusée pour qui doit bientôt y descendre.

Au chevet du lit d’Allan, madame de Scudemor était, comme partout, inaccessible à tout ce qui eût troublé une autre femme dont la douleur eût moins fortifié la raison. Cependant, elle avait perdu ce dépouillement de tout sentiment et de toutes choses qui la rendait, pour ceux qui l’approchaient, un égoïsme tranquille, un moi dont la souffrance et la réflexion avaient passé à la pierre-ponce les aspérités. La pitié, qui n’est peut-être que l’entente et le ressouvenir de nos douleurs à nous-mêmes, avait établi un lien entre elle et Allan.

Elle apprenait, cette femme qui semblait être devenue impersonnelle, qu’après les angoisses des passions trompées il y a des douleurs possibles, et qu’il reste toujours assez d’illusions dans la vie pour s’apercevoir, un jour ou l’autre, qu’en voilà qui n’étaient pas mortes. C’est ainsi qu’elle avait cru longtemps que sa destinée avait mis enfin le doigt sur sa bouche ; que, d’épuisement, elle échapperait aux émotions qui, tout à coup, interrompirent le recueillement de sa pensée, — seul abri des âmes fortes et grandes, le seul havre où l’on relâche contre les coups de la tempête du cœur ! Mais cette présomption, qui n’était que l’apaisement d’une vie terminée, cette présomption, enfant modeste de