Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/106

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cœur comme on perd la tête… Quelle situation pour une femme qui aime, et qui cherche au fond du regard égaré un vague éclair qui ne soit pas l’ironique mirage d’une connaissance anéantie, quand elle a trouvé plus que les ombres désespérantes de la démence dans ce sourire d’aveugle et dans ces yeux, plus effrayants que des orbites, puisque ce n’est pas de la chair, mais de la pensée qui y manque ! madame de Scudemor n’éprouva pas, il est vrai, l’angoisse de cette recherche affreuse d’un sentiment effondré dans les abîmes de la folie ! de cette infidélité du cœur par la défaillance de la raison en des organes infirmes ! Plus auguste que le ricaneur Démocrite dans son mépris, elle contemplait, sans frémir, les bornes au sein desquelles habite et s’éteint ce que l’homme a de plus divin mêlé aux molécules de son argile. C’était un spectacle digne d’elle. Après les rudes épreuves traversées, elle endormait, avec un fier bien-être, toutes les blessures de ses pieds meurtris dans cette poussière de l’humanité, mais ces instants étaient bien courts… Par une incroyable inconséquence, sa tristesse, sa pitié, ses remords la reprenaient peu à peu. Car pourquoi remords, pitié, tristesse, quand on sait comment tout peut ou doit mourir, aussi bien dans l’âme que dans la vie ?…