Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/105

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Mais ce remords, qui est au fond de toute pitié, se prononçait davantage dans le cœur de madame de Scudemor parce qu’il y rencontrait l’inquiétude, l’inquiétude qui lui faisait sentir ses plus brûlantes poinctures ! Elle avait l’anxiété du danger d’Allan, et jamais personne ne lui avait vu, comme alors, un intérêt mêlé d’effroi dans ses yeux de marbre quand elle demandait au médecin : « Monsieur, cet enfant mourra-t-il ? »

La maladie d’Allan avait un tel caractère d’intensité qu’il restait bien peu d’espoir de le sauver. Quand on vit, aux Saules, madame de Scudemor ne plus quitter le lit d’un mourant, ces gens du monde, qui ne voulaient pas attrister leur gaîté rose d’une scène funèbre, partirent les uns après les autres. Ainsi, dans ce château qui regorgeait de monde la veille, il ne resta plus que trois personnes : Allan, madame de Scudemor et Camille.

Quelquefois elle venait, la petite, demander à la porte des nouvelles du malade, car madame de Scudemor lui avait interdit l’entrée de la chambre. Cette mère prévoyante ne voulait pas que le délire d’Allan apprît à sa fille quelque chose de ce qui devait lui rester à jamais caché. Mais la précaution fut inutile. Les pensées d’Allan ne se rattachaient à aucun des événements qui avaient déterminé sa maladie. Dans aucun de ses mots sans suite ne vibra le sentiment dont son cœur était plein. Profonde misère de la nature humaine ! On a un sentiment par lequel on vit, par lequel on respire, — et l’on vit et l’on respire que ce sentiment ne paraît plus exister ! Et ce n’est pas un fait intime, conséquence fatale de ce sentiment, qui le détruit, mais un fait extérieur et brutal, étranger à sa nature. Le cœur se voile comme la raison. On perd le