Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/109

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la transparence du rideau blanc qui flottait entre elle et lui, Allan, à qui revenait la conscience des objets extérieurs. Il y avait, pour Allan, entre ses souvenirs et la faculté qui sert à les interroger, entre ses idées et son esprit, le même voile que ce blanc rideau qui lui ennuageait madame de Scudemor. Pauvre aveugle ! qui n’apercevait le jour qu’à travers la voilante impression du bandeau tombé restée aux yeux inassurés encore. Ce qu’il sentait, nous l’avons tous senti ; mais c’est ineffable à raconter. Il essayait de se réaccoutumer à la vie, dont le flot l’avait repris au fond du gouffre et le réemportait doucement… Il cherchait à tâtons son identité perdue. Il n’adressait pas la parole à cette femme, qui ne l’avait pas quitté sans doute. Il n’osait lui parler le premier, et il brûlait d’impatience qu’elle lui parlât. Vingt fois le mot : « Merci pour tant de soins », lui vint sur les lèvres, mais pour y expirer dans un soupir, partagé qu’il était entre le ressentiment et la reconnaissance. Elle qui croyait son malade sous la sommeillante influence de la fièvre, rendue plus engourdissante encore par cette accablante chaleur d’orage, ne remarquait pas ses yeux ouverts, aux aguets derrière le rideau, et cette impatience de sortir du silence qui lui pesait.

Il fit un mouvement pour se mettre sur son séant, mais il était si faible qu’il retomba. Elle l’entendit.

Alors elle ouvrit le rideau, et, à l’expression de ses yeux, elle vit que l’abattement avait cessé.

— Comment êtes-vous ? — dit-elle, avec cette voix éteinte qui ne vient que du bout des lèvres. Et lui, qui n’avait qu’une pensée : — Oh ! ne me le demandez pas, — dit-il. — Si j’étais mieux, ne faudrait-il pas vous quitter ?