Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un jour, qui ne nous blanchit pas les cheveux dans une nuit ! C’est une triste science que de savoir cela, Allan, mais vous ne me croyez pas, vous secouez orgueilleusement la tête à mes paroles, et vous rêvez des délices éternelles dans les bras d’une femme aimée. Vous ignorez cette immense tristesse, qui, plus tard, vous envahira aussi, beau et fier incrédule, heureux impie ! L’amour que vous avez pour moi est de nature, plus qu’aucun autre, à vous apprendre le peu de durée des passions !

Eh bien ! parce que cet amour d’exception, cet amour, plus insensé que les autres, plus que les autres doit bientôt périr, et surtout, surtout pour l’éteindre plus vite, Allan, je me dévouerai jusqu’à ses dernières exigences. Je vous épargnerai des douleurs qui pourraient troubler à jamais votre vie, car ce n’est rien que de tuer une illusion, mais c’est tout que de la blesser. J’épuiserai la lie des obéissances, tout ce que la pitié n’empêche pas d’être si cruel dans les sacrifices de la fierté ! Mais ne vous y méprenez pas, Allan, le seul sentiment que vous pourrez avoir jamais de moi, vous l’avez.

Et elle se tut. Sa voix n’avait pas tremblé… mais une frêle teinte, d’un rose bientôt effacé, était passée à la sommité de sa joue pâle. Signe touchant de la nature épuisée, dernière goutte de sang perdu au combat. La joue reprit sa pâleur ambrée avant qu’Allan eût répondu. Cette femme, dont sa jeunesse ne comprenait pas toute la grandeur, avait mis le chaos dans son cœur et dans sa tête… Son amour, qui tout à l’heure se consumait dans les désirs ignés de la possession, reculait comme d’effroi devant ce don si triste et si dépris que madame de Scudemor faisait d’elle-même, devant cette générosité qui s’aumônait de si