Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/119

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de son amour, se livrait aux entraînements de sa pensée juvénile et brûlante. — Oh ! vraiment, — disait-il avec poésie, — est-ce qu’un peu de ce qui m’émeut et m’agite ne se glissera pas en vous pour vous émouvoir d’un sentiment qui ne soit pas seulement cette fatale pitié ? Ah ! je ne demanderais cela que le temps d’un regard et d’un soupir ! Est-ce trop, ô mon Dieu ! Est-ce que celle qui eut votre âme n’a plus une seconde d’amour à donner ? Eh bien, ce serait un ressouvenir ou une méprise, ce serait tout, plutôt que ce rien de la pitié ! Mais, du moins, je vivrais toute ma vie sur ce moment-là. Oh ! m’aimer faiblement, presque pas, mais enfin m’aimer ! ou du moins me le faire croire, à moi, pauvre fou, le temps presque dévoré que le soleil va mettre à quitter ce rideau dont le reflet s’exhale déjà sur votre front, ô vous à qui tout est possible, dites, est-ce trop ?

— Allan, — répondit-elle, — demandez plutôt au volcan éteint un bouquet de roses de Bengale. Rien ne fleurit, même pour une seconde, dans mon cœur dévasté.

— Eh bien, mentez ! — reprenait l’âme en peine. — Mentez par pitié, puisque la pitié a survécu à la mort de votre cœur. Dites-moi une fois que cette cendre est la rose, qu’une seule pression de votre main d’acier c’est de l’amour, et je vous croirai. Que l’éternité me détrompe après, mais je vous aurai crue !

— Allan, — répliqua-t-elle, — l’amour est plus difficile à contrefaire que la jeunesse, et la jeunesse passée ne se recommence pas. D’ailleurs, quand on a un sentiment profond, à peine si le langage de l’amour vrai apaise les défiances de l’amour. Si la vérité ne satisfait pas l’âme éprise, croyez-vous que vous vous rassasieriez des illusions gros-