Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/138

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vie profonde qui se trahit à la surface, prendre de l’air dans sa main avide comme dans sa bouche ouverte par le désir quand elle manquait le papillon effleuré, — et triste, après, en regardant ses doigts teints de la poudre d’or des ailes qui venaient de lui échapper, comme si elle avait l’intuition de ce mélancolique symbole de toutes choses qu’on ne touche que pour les flétrir ! Toujours est-il que les fleurs, cet aimant des jeunes filles, qui ont comme des regards dans leurs corolles et dans leurs parfums des haleines, avaient beau de loin, lui sourire sur leurs tapis d’herbe ou du bord des eaux, elle ne se hâtait plus pour les cueillir. Elle mollissait, n’allait plus pour aller, — gracieuse toujours, non plus de la grâce vive et tournoyante de l’alouette, mais de celle plus longue et plus chaste du cygne, endormi sur une eau sans courant. Et ainsi allant, toute lente et presque rêveuse, elle était si languissante qu’on l’aurait prise pour réfléchie…

Quand un habitant de ces parages, tirant vers la Douve, traversait le marais et l’y rencontrait dans son errance isolée, il la saluait, comme si elle n’avait pas été un enfant, en l’appelant gravement : « Mademoiselle » ; tantôt grand et robuste jeune homme s’en allant à la pêche avec ses filets sur l’épaule, tantôt vieux batelier, le front chargé des fatigues de la veille et des soucis du lendemain, — et c’était chose touchante que de voir ces hommes rudes, ces laborieux dompteurs d’une vie difficile, se découvrir respectueusement devant cette enfant venue des villes et qui semblait d’une autre nature qu’eux. Très souvent, Camille s’arrêtait pour regarder, de ses yeux distraits, de petits groupes d’enfants joyeux éparpillés ici et là dans le marais, et qui troublaient, en y plongeant leurs jambes nues, l’eau