Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/15

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de leurs horizons souvent brumeux, même les jours où le temps était le plus clair.

Isolées en ces immenses parages, c’étaient deux demeures aristocratiques et solitaires qu’il avait fallu même quelque courage pour habiter autrefois. Autour d’elles, en effet, l’atmosphère de ces marais avait été longtemps aussi meurtrière que celle des Maremmes de la campagne romaine, avant l’époque du drame intime dont ce château des Saules fut l’obscur théâtre. Il n’y avait pas beaucoup d’années qu’un drainage intelligemment pratiqué avait purifié la contrée des influences, presque toujours mortelles, dans lesquelles des générations de riverains et d’habitants de ces marécages avaient misérablement vécu, tremblant, toute l’année, les fièvres, comme elles disaient, ces hâves et malingres populations ! Mais, vers l’année 1845, ces populations avaient perdu l’aspect de langueur et de maladie qui avait si longtemps attristé l’œil du voyageur quand il passait par ces marais typhoïdes, et la santé était revenue là aux hommes comme aux paysages. Assainis par une culture qui en avait fait une prairie, ces marais offraient alors, à perte de vue, le spectacle opulent d’une étendue d’herbe pressée, tassée, presque touffue, où les bœufs qui paissaient en avaient jusqu’au ventre, de cette herbe plantureusement foisonnante sur le vert éclatant de laquelle ils se détachaient vigoureusement dans leurs diverses attitudes, soit dans la lente errance de leur pâture, le cou baissé, soit couchés sur le flanc, dans la somnolence de leur ruminement et de leur repos. Ces herbages humides coupés, de place en place, par d’étroits fossés d’alluvion qui mettaient une eau transparente d’opale dans leur fond d’émeraude, avaient aussi — stagnantes çà et