Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/155

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frapper ! Et ce moyen, ce refuge dont le nom lui brûlait les lèvres, il n’en prononça pas même le nom ! Ah ! de toutes les peines honteuses qui lui rappelaient les misères de sa destinée, c’était celle-là qui devait le déchirer davantage.

Le cœur lui saignait dans le silence en pensant à cela. Il était tard. On voyait à peine son visage. Au bas du jardin, d’où le regard s’étendait de la fenêtre jusque sur les marais, la lune incertaine rondissait à l’horizon vaporeux et s’élevait comme à regret de la terre, qui la repoussait doucement vers le ciel obscur. Elle faisait miroiter les mille mares éparpillées de ce marais de toutes parts argenté par la pâle lumière de son disque. C’était un samedi. La Douve était trop loin pour qu’on l’aperçût, dans ses ondulations assouplies comme un boa d’hermine entortillé aux épaules d’une femme qui repose, mais on entendait le bruit des rames de quelque barque qui s’en allait.

— Cette vie à trois, — reprit gravement madame de Scudemor en poursuivant ses idées, — ne peut pas rester ce qu’elle est. Tôt ou tard, Camille découvrirait tout. Voilà ce qu’à tout prix il faut empêcher. J’ai pensé que voyager serait bon et commode. Un intérêt toujours nouveau s’emparerait de la curiosité de ma fille et l’occuperait, de manière à n’en pas faire un danger pour elle. D’un autre côté, en voyage il y a tant d’imprévu qu’on peut arranger la vie comme on veut, sans que personne y trouve rien d’étrange. Enfin, pour vous-même, Allan, qui mourez sous une idée fixe dans ce tous-les-jours uniforme, voyager serait encore un bien. Voulez-vous que, l’hiver qui vient, nous partions tous les trois pour l’Italie ?…

— Qu’est-ce que cela me fait ? — répondit-il avec fa-