Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/154

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née, sur ce divan que, dix fois par jour, troublé à des profondeurs insensées et défaillant sous la brûlante lourdeur des souvenirs, Allan allait furtivement couvrir de baisers aux endroits où les coussins, tièdes encore, avaient plié sous des pressions bien connues, — « j’ai peur que ma fille ne s’aperçoive de ce qui se passe en vous, mon ami. Je tremble, parfois, que le mystère que nous savons seuls ne soit trahi par une de ces habitudes plus familières échappées à l’entraînement du cœur, par un de ces mots irrévocables qui constatent ce que des regards passionnés ont déjà appris. Mon pauvre Allan, cachez mieux votre déplorable amour ! Ayez quelque force sur vous-même. Ayez du respect pour cette enfance tranquille et dont je voudrais prolonger le calme longtemps, trop sûre que cette fillette n’échappera pas, car elle a de mon sang dans les veines, aux passions qui ravagèrent le cœur de sa mère. »

C’était le devoir qui priait. Allan promit de tout cacher devant Camille. Cette promesse lui rappelait combien son amour devait rencontrer d’obstacles, et il se prenait d’un sentiment toujours plus âpre contre Camille, l’obstacle vivant et sacré !

Hélas ! il y avait un moyen d’anéantir les douleurs d’une vie intime faussée et empêchée. Il y avait un moyen de sortir de cette dissimulation étouffante devant les autres, et de se reposer de son amour comme en Dieu ; un moyen hardi, la seule crânerie que le bonheur suprême ait quelquefois couronnée… Oh ! bien souvent, depuis qu’il aimait, la pensée d’Allan était allée se briser aux côtes riantes de cet Archipel, dans la mer agitée de ses rêves. Bien souvent elle s’était arrêtée à la porte de ce foyer domestique à laquelle, mendiante fière et tremblante, elle n’avait pas osé