Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/165

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yeux avec les agrafes de son manteau. Qu’importe que les étoiles rayonnent là-haut ou s’y flétrissent, puisque les seuls astres auxquels on croyait sont perdus !

Voilà pourquoi, Allan, je ne me suis pas retirée du monde. J’ai achevé de vivre à la place où j’avais vécu, — et je n’ai pas fui, parce que partout je me serais emportée avec moi. J’étais trop malheureuse pour rien affecter, et je pris ma part de cette vie oisive et insignifiante de salon, qui ne me pesait pas plus qu’autre chose puisque j’étais absolument désintéressée de tout. Croyez-moi, Allan, on se fait très vite à tous ces détails extérieurs de l’existence, qui sont d’une gêne insupportable quand on est jeune et passionnée. Je les acceptai sans répugnance, parce que je n’avais rien de mieux à leur préférer. Une visite à rendre, une soirée à passer chez les autres ne me coûtaient pas, et j’allais. Je ne m’enfermais pas tête-à-tête avec ma douleur, parce que je n’en avais pas le culte. Je ne pensais pas non plus à m’en distraire, parce que je ne pouvais pas être une autre que moi. Il y a des gens qui se souillent les cheveux de cendre et portent le deuil de leur bonheur. Ils peuvent être vrais, et je ne les condamne ni ne les accuse. — Il y en a d’autres, au contraire, qui blanchissent les dehors du sépulcre, et ils peuvent être vrais encore. J’avais été de ces derniers ; mais si je détachai, plus tard, ma couronne de dédains du front pour lequel elle n’avait été qu’une visière de casque faussée, j’y laissai par indifférence les frivoles ornements de la femme.

Ce que le monde était pour moi, les livres aussi me le furent. J’étais née avec des facultés assez puissantes, mais on ne m’avait appris que le catéchisme dans mon enfance, et, quand je quittai le couvent, j’étais déjà trop passionnée