Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/167

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute entière à son jeune amant, la simplicité forte d’une âme sincère. Ses mélancoliques paroles n’étaient pas prononcées avec mélancolie. Si elle posait sa joue sur sa main, gantée de ce blanc lisse et glacé qui faisait ressortir la nuance de citron mûr de cette joue d’un si gracieux ovale encore, c’était distraction ou négligence, mais cette tête ne fléchissait pas. Le jour qui n’est plus qu’une soirée, et que tout pleure sous le ciel, glissait sur elle sans vague tristesse. Le soleil couchant, puissance vaincue comme la douleur qui avait déteint sur son âme, jaunissait de son or ces prunelles qui le réverbéraient sans sourciller, mais n’y laissait pas d’autre trace. Contre l’air brumeux des marais qui s’élevait elle avait entortillé son cou et ses épaules de cette fourrure qu’on appelait alors un boa, et ce boa de martre, replié autour d’elle, ressemblait au serpent rassasié de la vie, qui s’était endormi autour de sa victime sans avoir pu s’en détacher…