Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/185

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bras sur son sein demi-nu comme pour le défendre quand il avait essayé d’en déchirer les voiles, et, depuis ce moment, elle était restée dans cette attitude, l’écoutant dire, sans horreur et sans fierté blessée, toujours de la même pâleur blanche et lisse mais qui devait rayonner, d’un moment à l’autre, sous les transfigurantes splendeurs du martyre moral qu’elle endurait avec grandeur !

Cette vue rappela Allan à la raison. Il s’épouvanta de lui-même : — Qu’est-ce que j’ai dit, Yseult ? — demanda-t-il ; — t’ai-je offensée ?

— Je n’ai entendu qu’une seule chose, — répondit-elle avec une inexprimable miséricorde, — c’est que vous souffriiez beaucoup, Allan. — Et elle lui tendit une main sur laquelle il répandit des larmes moins amères que celles qu’il venait de verser.

Toutes les nuits ne ramenaient pas des scènes aussi cruelles, mais il ne s’en écoulait pas dans lesquelles ne se trahit la douleur d’Allan. Un désir plus noble et non moins exigeant, qu’il ne pouvait rassasier, ne cessait de réclamer dans son âme. Les fleurs de volupté qu’il suçait à en mourir renfermaient, comme les feuilles de laurier rose, un poison corrosif et mortel. Il ressemblait à ce malheureux fou, dont l’histoire peu connue est d’autant plus touchante qu’elle est l’emblème de la vie de beaucoup d’entre nous. Un fou s’éprit d’une lame d’épée. Amoureuse altière et cruelle ! Mais elle était svelte, souple et gracieuse comme une jeune fille. Elle se relevait comme une couleuvre quand on l’avait pliée en faucille sur le pavé. Elle répandait de beaux reflets bleuâtres qui fascinaient comme les adorables et irrésistibles yeux de la femme que l’on sait perfide. Peut-être y avait-il pour le pauvre fou des ana-