Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/186

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logies dans tout cela… Quoiqu’il en fût, l’homicide ne répondait à ses caresses que par du sang ; du sang pour des baisers et pour des étreintes, du sang aux mains, à la poitrine, aux lèvres ! quand un jour il se la fit entrer jusqu’à la garde dans le cœur. Ah ! pourquoi Allan, et nous, en pressant contre nos poitrines ces femmes trop aimées, glaives de douleurs qui nous déchirent, ne les ouvrons-nous pas assez profond et assez large pour qu’amour et vie puissent tout à coup s’en échapper ?…

Cependant, il faut en convenir, cet inapaisable mal qui rongeait Allan et lui dévorait ses jeunes années était au fond une magnifique blessure, un noble deuil, un désespoir qui avait aussi sa grandeur. C’était la première fois que l’ulcère fut plus beau que la pourpre qui le couvrait, car cet ulcère était à l’âme et tout ce qui vient de là est sacré. Ah ! c’est que l’amour est plus qu’une possession foudroyante, mais éphémère. C’est une possession de toujours, quelque chose qui défie les organes au lieu de les écraser, parce qu’elle est placée là où l’homme est une force comme une irradiation de Dieu même. Des mains qui se joignent ne sont qu’un symbole ; le regard le plus plein d’éclairs ou de larmes, une réverbération incolore de l’invisible lampe allumée dans le temple du cœur. Firmament voilé qu’on soupçonne dans la nuit humaine, étoiles aveuglantes de flamme, si on les voyait. Inconnu ! Inconnu ! tourments et délices, n’est-ce pas ce que l’amour implore dans les sympathies d’une autre âme, dans ces liens qui ne sont pas seulement des bras vulgairement enlacés ? Aussi, quand ce besoin de sympathie reste béant comme un abîme, quand les immensités du cœur, qui se projettent de loin comme les vagues d’une mer infinie, ne trouvent pas le