Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/192

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Et la voilà qui se prit à broyer sous sa volonté ce dernier schiste d’une âme de poussière, cet orgueil qui vit dans les blessures. Hélas ! ce travail sur elle-même, cette apostasie d’une véracité qu’elle avait jusque-là conservée, cet embrassement tout rougissant du mensonge, cette résolution à la bassesse, ne furent pas l’affaire d’un seul jour. Elle eut besoin d’y aller à plusieurs reprises pour consommer sa dégradation à ses propres yeux.

Soit l’effet des combats qu’elle livrait à l’orgueil, soit le commencement de l’essai qu’elle voulait tenter, elle changea subitement de manières et Allan dut promptement s’en apercevoir. Le calme infini de sa personne, si grand qu’il semblait s’en répandre et qu’Allan en avait été plus d’une fois saisi comme d’un froid soudain, ce calme s’altéra quelque peu… Le regard se voila comme un acier poli sous une haleine, le sourire, pauvre rose morte feuille à feuille, se pencha plus triste au bord des lèvres. Cette voix déjà étouffée, s’étouffa davantage. Quand Allan lui parlait de son infatigable amour, elle l’écoutait avec une expression de physionomie qu’il ne lui avait jamais vue. D’un autre côté, elle s’abandonnait moins à ces longs tête-à-tête, à cet ensemble de toutes les minutes passées avec lui. Est-ce que Brutus lui-même ne portait pas quelquefois à sa bouche un pan de sa toge, pour cacher le rire de mépris qui y revenait peut-être à travers la magnifique imposture qui aurait trahi la volonté et le génie sous le masque de la stupidité ?…

Allan s’étonna de ce changement dans une femme d’une donnée si simple et si droite. Ce qu’il en avait compris jusqu’ici l’avait rendu, il est vrai, le plus malheureux des hommes, mais lui ôtait du moins toutes les anxiétés de l’ave-