Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/197

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Harassé, mécontent de lui-même, voulant en finir avec la curiosité qui le tenait comme une inquiétude : — Avouez, Yseult, — lui disait-il ce jour-là, d’un rire presque farouche et d’une voix sombre, — avouez que vous êtes lasse de moi et que votre pitié vous est bien à charge !

Elle était assise devant un piano, dans un cabinet de travail exclusivement réservé pour elle, d’une élégance simple, et qui ouvrait sur un balcon. Elle venait d’essayer une fantaisie. Ce n’était pas une musicienne que madame de Scudemor. L’âme manquait aux doigts habiles. Aussi, presque jamais n’achevait-elle le morceau qu’elle avait commencé. Elle se levait ordinairement du piano comme on ferme un livre qui n’intéresse pas. Mais ce jour-là, il y avait dans sa paresseuse manière de rester là, les mains éparses au clavier, toute l’inaccoutumance dont Allan recherchait avidement la cause. La fantaisie avait passé de l’âme du musicien dans la sienne. Elle mêlait, à des intervalles inégaux, un son distrait aux notes du thème interrompu, brisant pour reprendre, renouant pour briser, avec langueur, la série des idées que cette musique exprimait. Errantes clématites de la rêverie que l’art avait enguirlandées avec caprice ! chûtes d’harmonies éphémères qui tombaient une à une dans le silence, comme les gouttes d’eau des avirons soulevés, quand la barque s’arrête, sur les longues et sonores tranquillités de la mer au soir !

— Oh ! Allan, me suis-je jamais plainte ? — répondit-elle avec le sentiment de l’injustice.

— Oui, car c’est se plaindre que de ne plus être ce que vous étiez, — fit Allan. — Vous changez, Yseult, et pourquoi la tristesse vous prendrait-elle si vous n’étiez pas à bout de courage contre mon amour ?…