Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/199

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votre pitié, mon amour serait ce qui résisterait le plus ! Vous n’avez pas prévu la vie d’enfer que vous vous êtes faite, et que mon amour insensé accepta, comme vous me l’aviez donnée, les yeux fermés. Car je le sens bien, Yseult, cette vie est affreuse, — plus affreuse que celle de la jeune fille croyant au bonheur de la force de toute son âme et victime de son mariage avec un vieillard. Et si je n’ai pas le courage de vous en affranchir, Yseult, c’est que je t’aime comme un lâche, c’est que l’irrévocable pèse sur moi !

— Non, vous ne m’avez pas comprise, — reprit-elle, toujours plus émue. — Si j’ai dit que je m’étais trompée sur moi-même, je voulais parler d’une autre erreur…

Il la regarda hébété.

Les rideaux étaient baissés et l’appartement très sombre. La lumière et l’obscurité y luttaient, vaincues l’une par l’autre, à certains angles, à certains endroits, — comme, dans l’âme d’une femme, la vérité et la fausseté, la candeur et la perfidie. Seulement l’obscurité y était carminée du reflet des rideaux baissés. Coquetterie ou trahison de plus, que cette teinte du carmin qui diffondait aux plus pâles et aux plus froides les apparences de l’émotion ! Le piano était posé contre les rideaux pleins d’artifices… et le jour ne venait que par la porte du balcon à laquelle madame de Scudemor avait alors le dos tourné.

— Oh ! oui, — reprit-elle après une pause encore plus longue que la première, et d’une voix si douce qu’il semblait que ce fût une voix qui éclosait, nouveau phénix, dans les cendres de son autre voix, — oh ! oui, je sens que je me suis trompée… Je sens que la femme n’a pas le droit de s’affirmer elle-même, au moment où elle croit l’avoir assez péniblement acquis.