Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/203

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anomalie. Est-ce donc merveille que la femme d’une jeunesse éclatante emprunte un charme de plus à l’amour ?… Mais quand les feuilles de la rose ne sont pas seulement tombées mais que les feuilles du rosier s’en vont aussi, quand ce par quoi la femme vit aux yeux mortels expire, l’amour en paraît plus divin. On est plus en présence de l’âme, et comme elle avait une immatérielle manière de se révéler à travers les visibles beautés de la jeunesse, poses, mouvements, physionomie, célestes expressions d’une langue désapprise mais non pas oubliée, elle se relève encore, mais mieux, réduite à ses plus purs symboles, solitaires maintenant à la place où la beauté s’éteignit et où, plus grands et plus doux qu’elle, ils dédaignent de la pleurer.

Ce jour-là, Yseult se revêtit de cette suavité ineffable qui n’est nulle part et qui est partout. Jamais Allan ne l’avait vue sous cet adorable aspect. Il ne l’avait pas même rêvée ainsi, quand il se faisait heureux par la pensée aux premiers instants de son amour. Magie du sentiment que les femmes expriment ! Un reflet d’adolescence se retrouvait à son front, aurore boréale de la vie ! Et, quoique Allan fût le jeune homme et elle la femme à son déclin, on eût dit que cet amour tardif avait effacé la distance qui les avait séparés si longtemps…

Tout ce qu’elle savait de choses délicieuses, tout ce qu’elle put imaginer de plus passionné, elle le lui prodigua. Il ne l’eût pas aimée jusque-là, qu’elle l’eut bien forcé à l’aimer. Voyez-vous ! les femmes savent des choses irrésistibles. Ne les écoutez pas, si vous ne voulez succomber. Qu’elles aiment ou qu’elles n’aiment pas, il faut les croire, il faut périr. Quand un enfant ne peut dormir, elles le bercent une ou deux fois et elles l’endorment. Quand un