Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/204

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homme leur oppose sa vertu ou les mâte de son génie, voilà qu’elles en font comme de l’enfant ! Sommeil qu’elles surveillent avec des yeux moqueurs, les habiles fées ! mais qui n’a pas toujours cent ans, car la perfidie a beau être profonde, il ne faut qu’un mouvement de paupières pour la dévoiler.

Le langage de madame de Scudemor aurait appartenu à cette science redoutable qu’ont toutes les femmes quand elles veulent s’en servir, qu’il en eût été le plus subtil raffinement. Artifice consommé, si c’était un artifice ! Elle ne lui disait pas un mot qui ne fût de l’amour plus délicatement exprimé que si elle lui avait dit : « Je t’aime, » épreuve où viennent se déchirer bien des impostures, parole rebelle qu’il ne faut pas prononcer avec imprudence, et qui, dans une bouche menteuse, éclate comme une arme faussée dans les mains ! Des caresses sont plus sûres, et elles en donnent avec cette pudeur qui est un calcul sous un trouble, honte embrâsante, ruse de qui n’a pas d’amour et qui le cache, en enivrant celui qui finirait par le voir.

— Viens au balcon, viens, mon Yseult ! — lui dit Allan, en l’entraînant par le corsage. La nature épuisée demandait de l’air. Il suffoquait de l’haleine embrasée de cette femme, et il voulait de l’air pur pour aspirer de nouveau les souffles étouffants qu’il avait dévorés jusqu’à s’en pâmer. Et puis, quand le bonheur moral nous tue, nous nous rejetons vivement à la vie physique parce qu’alors on ne voudrait pas mourir de ce qui fait tant de bien !

Ils allèrent au balcon ensemble. Il avait besoin de la voir mieux dans la lumière, de jouir mieux de la nudité de cet amour aux mille émotions entrevues dans les mille