Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/205

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obscurités de l’appartement. Mais au grand jour, les rougeurs avaient fui ; c’était le visage pâle et tranquille d’Yseult, l’œil n’était pas plus humide que d’ordinaire. Seulement, l’amour était resté dans le sourire assez pour consoler de ce qu’il ne se montrât plus ailleurs.

Ils restèrent sans parler, debout, appuyés sur la rampe. Le marais était désert au loin, car c’était un dimanche, pendant les vêpres, heure où les campagnes sont le moins traversées et où tout semble mis sous la garde de ce saint jour. Un vent du sud faisait frissonner les herbes et les eaux du marais. Il faisait doux dans les couleurs comme dans l’air, comme dans les bruits. Avez-vous vu de ces femmes, au languir mol et indécis, qui ont des yeux sans étincelles, à moitié fermés, et une bouche à moitié ouverte et souriante, volupté pressentie ou souvenue ? C’était la nature, ce jour-là. Une mousseline de vapeurs blanches voilait le soleil et, devenant de plus en plus gaze aux autres espaces du ciel, en adoucissait le bleu de turquoise mat et pâle. Allan savourait cet enthousiasme intime qui ne déborde pas, quoique l’amour vienne d’y être versé à longs flots. Il regardait dans le miroir de son âme cet autre amour qui se souriait à lui-même. Il était silencieux comme un homme qui goûte la douceur d’un fruit perdu dans son extatique béatitude. Elle le regardait, sous ses couveuses paupières, comme un Dieu qui jouirait de la félicité de l’un de ses Élus.

— Yseult, dis-moi donc que tu m’aimes, pour m’avertir que je ne rêve pas ! — lui murmura-t-il, en sortant de son adoration intérieure.

— Ne le sais-tu pas ? — lui répondit-elle. — Aujourd’hui, n’est-ce pas le rachat de toutes les souffrances en-