Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/208

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mière sotte venue, qui fait la chatte sur son canapé, n’a qu’à mettre un peu de mignardise dans sa voix, et elle inonde un cœur amoureux de bonheur avec l’impudente moquerie de ses paroles. Que suis-je donc, moi, pour n’avoir pas pu ce que peuvent si souvent l’effronterie et la maladresse ?…

Ce calme qui la maîtrisait toujours, mais qui avait, à ce moment, une physionomie si surhumainement éclatante, tomba sur la colère d’Allan comme un morceau de glace sur un cœur dilaté par l’anévrisme.

— Vous m’insultez une fois de plus, et d’une façon plus sanglante que les autres fois ! — reprit-elle avec une haute tristesse. — Voilà ce que j’ai recueilli pour m’être ployée jusqu’à la bassesse de la feinte, tandis que les autres femmes ont des hommes à leurs genoux et des couronnes de gloire à la tête pour prix de leurs égoïstes impostures ! Et ce n’est pas cela qui m’humilie, — ajouta-t-elle, en désignant du doigt l’impur crachat sous lequel son front rayonnait plus beau, pour les âmes qui l’auraient comprise, que sous une étoile de diamant. — Ce ne serait pas plus sur la fierté que sur l’amour que je pleurerais, si j’avais encore des pleurs à répandre. Mais je sens ici — et elle mit la main sur sa poitrine — l’impuissance, la radicale impuissance qui est en moi, et l’avortement de mon dernier sacrifice.

Et cette dernière angoisse, acceptée sans horreur ni dégoût, la rendait plus grande qu’elle n’avait jamais paru à Allan, et c’est cette grandeur qui tua sa colère ! Il se sentait un remords dans l’âme, pis qu’un remords, une honte cuisante de l’insultant emportement dont il s’était rendu coupable. Il ne pleura pas, il ne tomba pas à genoux