Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/209

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devant Yseult, il ne lui demanda pas pardon le front sur le pavé, car une voix intérieure lui soufflait que l’affront était irréparable. Il resta les yeux dans la poussière, — et l’âme aussi, — sous le poids d’une horrible et inénarrable confusion.

— Vous n’avez pas été assez pénétrant encore, Allan ! — reprit-elle. — Vous avez bien vu qu’il y avait un masque, mais vous n’avez pas vu ce qui était dessous… — Et, comme elle soupçonnait le supplice que la conscience de son action lâche et féroce infligeait à ce cœur nativement généreux : — N’est-ce pas — ajouta-t-elle, divine tentative de le réconcilier avec lui-même ! — que votre injure était une erreur, une méprise, et qu’elle ne s’adressait pas à moi ?…

Et du bout de son écharpe elle allait balayer à son front l’ignoble vestige de la fureur d’Allan, mais lui l’arrêta par le bras :

— Laisse-le encore ! — vibra-t-il. — Laisse-le là, pour que la honte de l’y voir m’étouffe et que j’expie ainsi mon crime envers toi !

— Cela ressemblerait trop à une vengeance, — fit-elle, et elle accomplit le mouvement qu’Allan avait suspendu. Il y a une bonté au-dessus des miséricordes du pardon, mais elle empêche toutes les absolutions du repentir. Les pleurs d’attendrissement d’Allan à ce trait d’une bonté céleste, ne l’innocentaient pas à ses propres yeux. Par une délicatesse admirable, qu’apprécieront seules les âmes d’élite, les êtres qui comprennent les exquises misères de nos cœurs, elle s’éloigna et le laissa seul au balcon. Elle retourna s’asseoir devant le piano, dans le fond de l’appartement. Elle, dont la douleur ne respectait