Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/217

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éolienne que les poètes ont dans la poitrine et qui répand, de toutes ses cordes agitées, des résonnances vastes et pures comme l’air qui les fait vibrer ! Il devait apprendre, plus tard, que partout où il emporterait cette malheureuse Yseult pour la faire vivre une seconde de sa vie d’émotions, d’hymnes et de larmes, la nature ne la réchaufferait pas plus que son amour, cette créature de cendre froidie, et qu’il ressemblerait à ce fils d’Achille qui traînait par les cheveux, au tombeau de son père, la vierge de Troie. Hélas ! plus malheureux encore, car le guerrier antique avait beau frapper le sein nu du pommeau du glaive l’avenir n’en sortait pas, et du moins le silence vengeait la prêtresse ; mais lui, Allan, quel sein outrageait-il alors, pour que rien ne répondît à ses cris ?

Perdu dans le moment présent, Allan n’imaginait pas que l’Italie pût le distraire de ses douloureuses préoccupations. Il croyait à la durée de son amour comme à son intensité. Il n’avait jamais aimé que madame de Scudemor. Il avait la foi que tout premier amour a en soi-même. S’il ne mourait pas de sa blessure, du moins la garderait-il longtemps pour en souffrir. Sans la circonstance de son amour, le voyage projeté eût été pour lui l’occasion de mille rêves et de mille jouissances. Qui fut poétique sans avoir songé de l’Italie ? Ah ! c’est fatal d’aimer ce pays, puisque, si vulgaire que ce soit, nul être distingué ne peut s’en défendre ! Mais Allan ne soupçonnait pas qu’il y eût dans la beauté du ciel un dictame pour les maux du cœur. Il avait dit vrai à madame de Scudemor. Elle l’avait si prodigieusement absorbé en elle, que rien de sa vie et de sa pensée ne devait franchir les bornes de cette femme, devenue tout son univers.