Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/218

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Il le croyait, et en ceci il se trompait, Allan, comme en bien des choses ! L’amour est plus intelligent que stupide. Il ne passe pas toujours une éponge sur le monde, et ne l’efface pas comme une arabesque. Bien souvent, il fait le contraire. Il le pare de ses rayonnements ou l’ombre de toutes ses tristesses. Sans l’amour, la nature serait comme de l’eau sans un ciel au-dessus. Si la femme aimée, ce splendide microscome, engloutit tout dans son sein mortel, c’est pour nous rendre tout plus grand et plus beau. Elle idéalise la création, cette forte et grandiose ébauche que Dieu nous jeta pour l’achever. On ne se retire au fond de soi de manière à ce que rien du dehors n’y pénètre, que quand l’amour n’existe plus, — que quand on est arrivé, comme madame de Scudemor, non pas simplement à la fin d’un sentiment d’amour, mais à la perte de la faculté par laquelle on aime. Tout le temps que cette faculté n’est pas entièrement épuisée, l’amour est bien plus l’interprétation vivante de la lettre morte du monde que sa rature. Et la dernière promenade d’Allan dans le petit bois des Saules, n’aurait-elle pas dû le lui prouver ?…

C’était une soirée, et pourtant il n’était que quatre heures, — une soirée automnale, froide et humide. Les feuilles restées aux arbres du petit bois étaient jaunes, et le soleil, jaune aussi, se couchait dans un ciel lavé sans couleur. Les sentiers tortillés du petit bois s’emplissaient des feuillages flétris tombés sous les premières pluies de l’automne. On n’entendait plus aucun oiseau, et les syringas aux parfums acérés étaient morts. Allan marchait seul sous les branchages. C’était d’instinct qu’il s’en était allé, une fois encore, avant de quitter pour longtemps peut-être les Saules, vers le petit bois où elle lui avait raconté son his-