Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/219

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toire et où il avait commencé de connaître cette grande femme, inconnue du monde, et qu’il aimait avec un tel tremblement. De cette nuit effroyable dont il était devenu fou et avait bien manqué mourir, que restait-il maintenant au bois dépouillé ? Rien de son mystère et de ses parfums. Le rossignol ne chantait plus dans le lointain, et tout était parti, excepté ce douloureux amour qui n’avait point passé si vite. Il se promenait dans les sentiers avec un sentiment d’inexprimable mélancolie, comme s’il recevait de ce lieu, consacré par la mémoire d’une nuit cruelle, une impression de tristesse dont il ne pouvait se défendre. Arrivé en face de ce banc rustique sur lequel Yseult s’était assise et l’avait fait asseoir à côté d’elle, il s’abîma dans une contemplation profonde. Il se demanda combien plus triste, lui parti, serait dans sa pensée cette place vide où personne ne viendrait plus s’asseoir…

Dans la superstition de ses regrets, il alla jusqu’à prendre le long des sentiers une poignée de feuilles mouillées et ternies et il les mit, avec un recueillement presque religieux, dans sa poitrine, assez brûlante pour les sécher. Puis il sortit du petit bois, chassé par une voix qu’il avait entendue.

Camille devait être tout près. Il la trouva, en effet, sur la terrasse à laquelle le petit bois aboutissait. Elle était plus heureuse que lui de ce départ pour l’Italie, quoique son bonheur n’eût pas le caractère bruyant et exalté de ses joies de naguère. Elle était assise sur le mur à hauteur d’appui de la terrasse, tête nue à l’air piquant des brises de l’automne et du soir, un bras appuyé sur un de ces vases de granit vide où l’eau des pluies était restée et où l’oiseau qui passait s’arrêtait parfois pour y boire. Elle regar-