Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/231

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mer toute rouge, au soir ? et à Florence, près de l’Arno où vous nous lisiez si souvent Pétrarque ? Nous ne croyions pas alors que des jours qui nous paraissaient si beaux nous le paraîtraient davantage encore, aux Saules, l’hiver suivant.

— C’est l’effet du souvenir, — dit Allan.

— Tous les souvenirs ne resplendissent pas, — murmura madame de Scudemor, qui s’était toujours tue jusque-là. Et comme si elle se fut repentie de ce mot qui ressemblait à une plainte :

— Vous rappelez-vous aussi, Allan, — continua-t-elle avec une indéfinissable expression et en changeant d’attitude sur sa causeuse, — quel peu d’empressement vous aviez de voir l’Italie lorsque nous partîmes ? Avec quel dédain vous en parliez ? Je vous en faisais la guerre. Je ne concevais pas qu’une imagination comme la vôtre ne fût pas remuée par la perspective d’un voyage dans ce beau pays. Avouez que, depuis, vous avez bien expié vos préventions méprisantes ? Et que vous l’avez aimée, cette contrée, pour tout l’amour que vous refusiez imprudemment de lui donner ?

Ces paroles, d’une gaîté apparente dans l’accent, renfermaient une intention dont Camille n’avait pas le secret, mais qui n’échappa pas à Allan. Il ne répondit point, il s’était retourné à demi et il torturait un des chenets avec sa botte.

— Et j’en fus bien joyeuse, mon ami, — reprit la comtesse. — J’ai bien joui de votre enthousiasme quoique je ne le partageasse pas toujours, ce qui vous fâchait quelquefois. C’était comme ce monde dans lequel vous ne vous laissiez entraîner qu’à regret, et que bientôt vous ne