Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/230

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Soit qu’il y eût un secret embarras dans le silence prolongé dont on est parfois heureux de sortir par une réflexion indifférente ou vulgaire ; soit qu’il lui fût resté au bord des yeux et de la pensée quelque splendeur de l’Italie — étincelante écume non séchée encore aux grèves du souvenir — et que cette image, comme un précieux flacon d’essence, substantiel débris de toutes les roses de Trébizonde qui nous jette à respirer dans les mortelles langueurs du pays quitté, la lui fît, de douce qu’elle devait être, douloureuse par l’effet du contraste avec la pluvieuse et glauque Normandie :

— Quelle différence — dit Allan — de ce pays avec celui que nous venons de quitter !

— C’est vrai ! — répondit Camille, dont la voix n’était plus la céleste musique d’autrefois. Il y a dans la voix comme un bouton de rose que la puberté déchire. — Depuis que nous voici revenus, je suis comme vous, Allan, je sens bien mieux cette différence. Là-bas on vit tant ! le luxe de la vie vous éblouit. Plus loin, on en juge mieux. L’Italie n’est vraiment belle qu’à la réflexion.

— Savez-vous que ce que vous dites-là, tout en enfilant votre aiguille, — repartit Allan, — est presque profond, ma jolie penseuse ?

— Oh ! je ne pense point, monsieur le mauvais plaisant, — dit-elle avec une légèreté charmante. — Quand j’ai une impression dans l’âme, je la dis. Voilà tout.

Et si celle qui disait cela n’était pas la plus naïve des jeunes filles, elle en était la plus hypocrite. Qui n’a pas frémi en songeant à ce que pourrait cacher le naturel ?…

— Vous rappelez-vous — ajouta-t-elle en le regardant soudainement — nos longues promenades à Venise, sur la