Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/233

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que je ne le cherche pas. Ma place est ici, et non ailleurs. Vous êtes souffrante. C’est à celui à qui vous avez tenu lieu de mère et que vous avez sauvé de la mort ici-même, c’est à moi, — insista-t-il en pressant expressivement la main qu’il tenait dans les siennes, — à vous soigner.

Elle voulut combattre cette résolution, mais elle était indestructible et tous ses efforts furent perdus, quoique Allan, à cause de la présence de Camille, ne pût pas objecter à madame de Scudemor un sentiment qui n’admettait pas de réplique. Seulement pourquoi, si ce sentiment existait toujours, les allusions de la comtesse à l’Italie et à l’amour du monde qu’Allan y avait montré ?… Pourquoi le désir exprimé de le voir passer l’hiver à Paris ? Et, si c’était une suite de la dissimulation à laquelle ils étaient obligés l’un et l’autre, pourquoi l’embarras d’Allan ? N’était-il pas permis de penser, plutôt, que les quinze mois qui venaient de s’écouler cachaient un changement bien autrement profond que le changement extérieur qui était en eux ? C’est bien plus sur l’âme que sur les traits qu’il faut compter les années. Les Anciens, pour symboliser l’immortalité, avaient posé sur une tête de mort un papillon les ailes ouvertes. Mais l’ingénieuse image se retournait contre l’idée même qu’elle voulait exprimer, car le papillon ne pouvait-il pas signifier les années fragiles, et la tête de mort l’âme humaine, qui, du moins dans ses sentiments, n’est pas immortelle, et sur laquelle le papillon, la vie, les ailes ouvertes, restent trop souvent comme une ironie du Destin ?…