Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/238

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« Pourquoi donc — disait-il — ne me devine-t-elle pas ? » Et il faisait tout ce qu’il fallait pour l’abuser, et, si elle lui avait dit la vérité, peut-être la lui aurait-il niée. Car, telle est notre inconséquence. Partagé entre la honte d’avouer l’inanité d’un sentiment auquel on avait mis son orgueil et le besoin de n’avoir pas à en prodiguer l’expression mensongère, on ne sait quel parti embrasser et l’on voudrait qu’un autre, ou le hasard, dispensât d’agir. On souffre de cette faiblesse, et on ne la dompte pas plus que si c’était une force redoutable. État de l’âme mêlé d’une fatigue sans repos et d’une secrète amertume. Ballottement de fluctuations où le caractère perd, vis-à-vis de lui-même, toute contenance et toute dignité.

Ce fut alors qu’il se jeta dans la vie extérieure, ce refuge impuissant de tous les misérables ou par le cœur ou par la pensée. Il ne se contenta pas de la nature du pays enivrant qu’il habitait. Il alla aussi dans le monde. Il l’embrassa, ce monde, comme un ami qui le sauvait de lui-même. Il le saisit par toutes ses idées, par la taille de toutes ses danseuses. Madame de Scudemor, qui n’aurait osé trop vite croire à ce qu’elle espérait avec impatience, était bien aise de voir qu’une distraction s’emparait vivement de ce jeune homme et le sortait de la fixité de la passion. Que de fois elle chercha de son long regard, autour d’elle, parmi les flots de femmes de ces fêtes, une rivale heureuse qui lui volât l’amour d’Allan ! Comme elle n’en trouva pas, ce lui fut une raison pour croire que ce déplorable amour subsistait toujours.

Aussi, rien ne fut-il changé à ces habitudes d’une existence qui les avaient rendus plus libres et plus cachés, en l’éloignant des yeux de Camille, depuis qu’ils étaient en