Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/237

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pas là, pour lui-même, un témoignage de l’affaiblissement de son amour que cette espèce de rancune contre Yseult à propos des choses de l’art et de la pensée ? N’était-ce pas, en quelque sorte, la tenir quitte de celle qu’il lui avait involontairement gardée si longtemps pour la stérilité de sa sympathie ? D’ailleurs, quand la passion est intense s’aperçoit-on que la femme aimée ait un esprit ? Rivarol aimait les femmes bêtes. C’est l’histoire de l’intelligence dans l’amour.

Quelle que fût l’époque où Allan put juger du vide immense qu’un amour qui s’évanouissait laissait dans son âme, — car qui sait le jour où la colonne lumineuse tomba du front pâle de la femme qui en était la base et le laissa obscur en présence de l’imagination dégoûtée ? — toujours est-il qu’une honte secrète l’empêcha de se l’avouer, et quand il n’y eut plus moyen de se méprendre sur ce qu’il éprouvait, il n’eut pas le courage d’être vrai avec madame de Scudemor. Par l’effet d’une niaise délicatesse, on se croit obligé à tenir — même vis-à-vis de soi — les promesses que l’amour faisait, en toute assurance, à l’heure qu’il était robuste et ardent. On ne veut pas avoir le démenti de l’éternité à laquelle on croyait ; et, quoique dans la position d’Allan il n’eût pas de cœur à ménager, il resta parlant d’amour encore et n’en ayant plus… Imagination pleine de force, il s’exaltait en parlant d’un sentiment qui dépérissait, et il réussissait à se donner le change ainsi qu’à Yseult. Mais le lendemain, quand elle n’était plus là, quand le matin, sorti à cheval selon sa coutume pour explorer quelques paysages, — à ce moment où l’air est si pénétrant et le jour si radieux que notre âme en semble éclairée, — il regardait en soi d’un œil ferme, il voyait, clair comme ce jour d’Italie, qu’il ne l’aimait plus.