Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/241

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une si grande analogie. Au lieu de la passion turbulente qu’il répandait sur la vie de madame de Scudemor, Allan l’entoura des soins les plus attentifs et de procédés de toute sorte. Ce fut une espèce de culte silencieux. On y pouvait voir de l’amour encore ; on aurait pu y voir une tendresse tout autre que l’amour…

Quel que soit le résultat d’un grand amour pour le caractère, qu’il le brise ou qu’il le flétrisse, on ne saurait nier que si l’homme en réchappe l’esprit n’ait gagné à cette rude école. En exerçant son activité, on la double. Mais on ne s’aperçoit du progrès que quand on est sorti de l’absorption qui a développé en concentrant. Allan eut bientôt la preuve de cette vérité. Il rentrait dans la vie de la pensée à mesure qu’il sortait de celle du sentiment, enrichi de la foule d’idées que le sentiment lui avait données. Moment grave, où l’homme reprend la tâche de penser après avoir achevé celle de souffrir.

Aux premières atteintes de son malaise, madame de Scudemor eut le désir de revenir en France, innocente fantaisie de malade qu’Allan et Camille ; qu’elle appelait dans le monde ses enfants, avec une grâce si charmante, ne songèrent pas à contrarier. Ils aimaient pourtant bien, l’un et l’autre, le pays qu’il fallait quitter. Allan, — qui y avait vécu dans son cœur et dans sa conscience, double torture, talion éternel, — beaucoup moins que la jeune fille. Sans doute, elle avait eu davantage le loisir de cœur qui fait regarder autour de soi et s’enchanter de ce qui est beau ; mais n’y avait-il, dans sa préférence pour l’Italie, que les adorations dont les mystiques font le dernier mot de leurs admirations ? Elle était partie du château des Saules avec la croyance que ce lieu lui porterait malheur si elle