Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/242

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y restait. N’y avait-elle pas perdu l’affection d’Allan, de celui qu’elle avait toujours regardé comme son frère ? En Italie, au contraire, Allan n’avait eu ni blessantes manières ni brusqueries. Il était redevenu doux et compatissant pour elle. On le comprend. L’amour d’Allan pour madame de Scudemor une fois éteint, Camille n’était plus que l’innocente créature avec laquelle il avait passé son enfance. Une autre raison lui avait fait reprendre aussi tout son intérêt pour Camille. Cette jeune fille, pendant son séjour en Italie, était arrivée à cet âge où les plus folles enfants deviennent sérieuses. Contraste entre la fraîcheur de cette vive matinée de jeunesse et la gravité charmante qui ne se permet plus le sourire. C’est comme si Dieu, au lieu d’un parfum, mettait une pensée dans une rose. Il est impossible de ne pas se sentir entraîné vers les femmes à cette époque de leur vie ; c’est le moment où naîtraient les frères, si l’homme était assez malheureux pour vivre jusque-là sans idolâtrer sa sœur.

Ce retour d’amitié d’Allan, ce rapprochement qu’elle ne cherchait pas, mais qu’elle désirait et n’osait espérer, pauvre enfant que souffrir avait déjà rendu défiante ! avait mis probablement, aux yeux de Camille, entre les Saules et l’Italie plus qu’une différence de soleils. Aussi l’idée de revenir en France l’attrista-t-elle. Le voyage rendit ses regrets plus vifs en lui rappelant que chaque journée lui emportait des lieues entières de sa bien-aimée Italie, — qu’à chaque nuit tombée tombait, déchiré un peu davantage, un adieu qu’elle aurait voulu indéfiniment prolonger. Le jour elle dissimulait ses impressions en partie, mais le soir, cette heure de la marée des larmes, elle pleurait, la tête à la portière, quand Allan et madame de Scudemor