Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/245

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comme une aile de corbeau, un de ces Êtres pâles qui passent leur vie appuyés sur leur coude et qui nous font comprendre l’éternité, à nous qui nous agitons stérilement auprès. Ce n’était point un Ange, comme disaient les poètes de ce temps-là, une séraphique nature qui ne touchait la terre que de ses orteils d’ivoire et qui regrettait ses belles ailes ; mais bien une femme, une femme faite, comme l’entendaient les Anciens, de l’écume des mers, et digne de son orageuse origine, — calme ou impétueuse, avec un gouffre aussi au-dessous. Si on l’a vue, au sortir de l’enfance, en proie à ces tristesses que les plus ardentes ont comme les plus tendres, ces tristesses avaient une cause dans les façons blessantes d’Allan. Elle était contenue, mais non vague. Elle avait du chagrin et pas de mélancolie, — et, à travers les teintes molles de l’âge et du sexe, on sentait néanmoins en cette petite un indomptable élément de réalité. Sous le rapport de la sensibilité on voyait bien en Camille la fille d’Yseult, mais ce n’était pas le grand fragment de l’esprit de sa mère, — la femme la plus haut placée sur l’échelle de l’intelligence n’ayant jamais qu’un fragment d’esprit, une espèce de torse incomplet, inachevé, brisé (à qui la faute ?), et Yseult elle-même n’ayant pu échapper à cette loi formidable, faite de main d’homme au nom de Dieu.

Si Camille avait beaucoup aimé sa mère, ou si sa mère l’avait beaucoup aimée, elle eût trouvé une douceur de dévouement qui lui aurait fait tout oublier en s’enfermant avec elle, pour la soigner, au château des Saules. Mais l’affection n’étant pas assez grande en Camille pour se dévouer avec bonheur, qu’avait-elle à opposer à des tendances d’imagination qui l’emportaient loin de la vie