Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/246

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qu’elle était obligée de subir ? Ce cœur passionné se froissait aux sécheresses du devoir, et encore, ce devoir, elle n’avait pas la joie austère de le remplir. Madame de Scudemor n’acceptait pas les soins de sa fille, elle les repoussait doucement, gracieusement, moins comme inutiles pour soi que fatigants pour elle, mais si absolument pourtant que Camille, qui avait toujours craint sa mère, n’osait plus jamais insister.

Allan lui restait donc, et lui restait seul. Tout le temps qu’il serait là, elle aurait la force de supporter l’existence dénuée et monotone dont elle souffrait davantage depuis qu’elle n’était plus une petite fille. Quand madame de Scudemor avait prié Allan d’aller passer l’hiver à Paris, elle avait eu une peur affreuse qu’il n’acceptât. Habile à tout cacher de ce qu’elle éprouvait, — éducation effroyable faite par la douleur dont elle avait si bien profité, — elle ne laissa rien échapper de son épouvante d’abord, ni de sa joie, plus tard, quand Allan eut refusé départir. Elle en eut quelques jours une telle ivresse intérieure, qu’un soir elle quitta la fenêtre où elle travaillait et se mit à chercher Allan pour le remercier d’être resté aux Saules. Elle n’en pouvait plus de reconnaissance. Elle déjà forte, qui avait tant pleuré en dedans quand Allan l’avait repoussée, elle sentait le trop plein de son cœur déborder.

Elle le trouva dans la bibliothèque du château où il travaillait depuis qu’il n’aimait plus Yseult. À cette heure, la nuit déjà tombée ne laissait pas passer assez de clarté à travers les fenêtres pour qu’on pût distinguer les objets d’une manière bien nette. Il était assis devant un livre ouvert, mais il ne lisait pas, une main plongée dans ses cheveux et de l’autre pliant, à l’angle de la table, le couteau