Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/247

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d’ivoire qui sert à couper les feuilles du papier. Il n’avait pas l’air de trop songer à ce qu’il faisait. Il pensait à ce que lui avait dit madame de Scudemor, le jour qu’elle avait voulu le décider à retourner à Paris.

— C’est moi, Allan, — dit-elle en entrant, — vous ne travaillez plus maintenant, il fait nuit ; ainsi je ne vous trouble pas ?

— Est-ce votre mère qui vous envoie me chercher ? — demanda précipitamment Allan.

— Non, ce n’est pas ma mère, Allan, c’est moi qui suis venue… — Elle avait un immense désir de se jeter à son cou et de lui tout avouer, mais un sentiment vrai rend timide, ne fût-il que de la reconnaissance. Elle ne put finir sa phrase et fondit en pleurs. Il se leva et courut à elle.

— Qu’avez-vous donc, ma chère Camille ? Vous m’effrayez, — fit-il avec la peur de l’intérêt. — Vous est-il arrivé quelque malheur ?

— Oh ! non, — dit-elle avec une voix entrecoupée, — c’est du bonheur plutôt ! — et l’innocente serra sa tête contre la poitrine du jeune homme. — Voyez-vous, Allan, je n’ai pas osé… je n’ai pas osé vous montrer combien vous m’avez rendue heureuse, il y a trois jours, quand vous avez répondu à ma mère… que non, vous ne partiriez pas. Oh ! j’ai été folle de joie, et, ce soir, il m’a pris un tel besoin de vous le dire, que je serais morte si je ne vous l’avais pas dit. — Et, avec le tutoiement retrouvé de leur enfance, elle ajouta : — Merci donc, Allan, merci, mon frère, pour tout le bonheur que tu m’as donné.

Allan était extrêmement ému. Ce tutoiement, qui revenait aux lèvres de Camille, lui révéla tout ce qu’elle lui cachait de tendresse.