Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/249

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dans un sein virginal inaccessibles à tout ce qui pourrait les ternir… Seulement si l’imperceptible tache n’y paraissait pas encore, Camille les en préserverait-elle toujours ?…

À dater de cette journée, elle ne ressentit plus l’ennui que lui inspirait le château des Saules. Elle était sûre de son frère, sûre que jamais il ne lui manquerait. Tous les pays lui étaient égaux, puisqu’il y vivrait auprès d’elle ! Comme il arrive toujours, dans l’inaccoutumance de sa joie elle avait fait grâce au passé et ne se rendait pas compte du présent.

Allan y songeait plus qu’elle. Il avait aimé, lui. Il avait acquis la triste virilité des passions. Il se demandait s’il n’y avait pas autre chose qu’une amitié de frère à sœur entre lui et Camille, et, comme ses sens étaient restés calmes sous l’impression de ses caresses, il se répondait négativement avec la plus grande sécurité. Touché du sentiment que Camille lui avait tout à coup dévoilé, il s’occupa d’elle plus que jamais. Il oubliait les heures à ses côtés, et ils vécurent de la même vie. Il lui lisait les livres qui venaient de paraître, buvant les idées et les sentiments aux mêmes sources, s’entendant le mieux l’un et l’autre quand ils se parlaient le moins, entremêlant les tu et les vous : les vous tout haut, les tu à voix basse, et faisant ainsi non par l’instinct d’un sentiment coupable, mais parce que les plus angéliques affections ont besoin de mystère où se recueillir ; parce que dans une expression dite trop haut il y a une fêlure secrète d’où s’échappe le divin éther ! Il comprenait la position de mademoiselle de Scudemor vis-à-vis de sa mère. Il voyait la barrière de glace qui séparait ces deux femmes. À l’heure où l’on en a le plus besoin, par cette isolation de tout être à aimer, excepté lui,