Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/250

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il s’expliquait la vivacité de l’affection de Camille et ne supposait pas que cette amitié cachât un sentiment moins pur. Ainsi, les dangers de l’intimité étaient voilés par les motifs les plus rassurants et les habitudes de toute une vie, et ils glissaient mollement sur ce plancher de naphte dont plus tard leur pied, en appuyant, devait faire jaillir l’incendie !

Cette vie fut d’autant plus douce à Allan qu’il l’ignorait entièrement. Était-ce de l’intimité qu’il avait eue avec madame de Scudemor au temps qu’il l’aimait ? On a vu avec quel désespoir il en avait regretté l’absence. D’un autre côté, Yseult l’eût-elle aimé de l’amour qu’il avait pour elle, l’intimité est toujours troublée par les spontanéités contradictoires de la passion L’intimité suppose une placidité d’affection, un dépouillement mutuel de personnalité, une profondeur d’harmonie que les passions excluent toujours, plus ou moins. L’intimité, c’est l’hermaphrodisme, par la fusion des deux sexes en une seule âme. Or, dans l’amour on est toujours deux.

Il y a dans cette intimité délicieuse une vertu reposante dont les cœurs froissés s’arrangent bien. Il s’en exhale une paix qui les calme et qui les fortifie. Le lieu de lumière et de rafraîchissement que les Chrétiens promettent aux âmes souffrantes, se trouve quelquefois sur la terre dans l’âme d’un autre qui nous aime, mais d’un sentiment plus spirituel encore que celui de la sainte amitié. Allan l’apprenait. Imagination difficile, mais à qui l’expérience de deux jours avait rabattu de ses exigences emportées, il se contentait de tout ce dont il avait fait fi plus tôt. Pour peu qu’on ait vécu, ne faut-il pas mettre moins de souffle dans ses soupirs, moins de fougue dans ses ambitions, et s’abriter et