Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/25

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Est-ce que la rosée de la nuit qui est glaciale n’aurait pas dû vous faire rentrer ? Camille, que j’ai vue, boude dans un coin du salon. Est-ce que vous auriez eu quelque querelle avec ma fille ?…

— Non, Madame, — répondit-il comme un écolier coupable, et son accent était si tremblant qu’on aurait juré qu’il mentait.

— Alors pourquoi ne pas revenir ?… Pourquoi vous être enfui tantôt du salon ? Pourquoi devenez-vous si sauvage ?… Tout le monde se plaint de vous au château.

— C’est que tout ce monde m’ennuie ! — répondit-il avec lassitude.

— Oh ! vous êtes un trop grand poète pour nous, Allan, — fit-elle, et sa voix s’empreignit d’une légère ironie, mais l’intention de cette ironie fut trompée, le silence revint, et elle ajouta d’un ton plus vrai :

— Savez-vous que je suis inquiète, Allan ? J’ignore ce qui se passe en vous, mais vous avez l’air de beaucoup souffrir. Êtes-vous malade, mon ami ? Ou, si vous ne l’êtes pas, pourquoi cette inexplicable morosité ?… Confiez-moi ce que vous avez.

Et l’implacable prit la main brûlante du jeune homme dans sa main de glace.

— Non, jamais ! — fit-il, en retirant impétueusement sa main, et il se sauva dans le bouquet de saules qu’il avait derrière lui, mais on entendit ses sanglots.

— Pauvre enfant ! — murmura-t-elle. On ne pouvait voir son visage, et elle reprit, à pas lents, l’allée qui conduisait au château.