Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il devait y en avoir au moins une qui eût pénétré le secret d’Allan ; car, en étudiant ce frêle et presque transparent jeune homme chez qui les émotions montaient du fond à la surface, il était facile de s’apercevoir qu’il y avait en lui autre chose que des mystères d’organisation. D’ailleurs, est-ce qu’au début de la vie et à l’âge d’Allan on pourrait voiler quelque chose à celle qui fait tout éprouver ? Plus tard, même, est-il bien sûr de se fier à un masque ? Il serait d’airain, il serait de marbre, que ces regards de femme qui semblent si doux, et qui sont si pénétrants, perceraient aisément l’airain et le marbre pour voir dessous le sentiment qu’elles auraient inspiré, et qu’on leur cacherait le plus.

Allan resta si longtemps sur le banc où il s’était étendu qu’il ne s’aperçut du tomber du jour que quand le dernier pan de la robe purpurine du soir ne flottait plus à l’horizon, où il traîne souvent encore quand le soleil a disparu. L’obscurité, qui engloutit tous les objets, était d’un tel accord avec ses pensées qu’il serait resté encore longtemps à la même place, s’il n’avait pas entendu des pas près de lui. Il crut que c’était Camille qui revenait.

— Est-ce vous, Camille ?… demanda-t-il.

Mais une voix qui n’était plus la musicale voix de l’enfant, — une voix que l’expérience de la vie avait brisée (on l’eût dit, du moins, en entendant ses intonations profondes et un peu creuses), répondit : « Non, ce n’est pas Camille », et cette voix, d’un timbre altéré, fit bondir Allan, debout à l’instant, comme l’irrésistible appel d’un chant de syrène.

Une femme d’une grande taille s’avança : — Que faites-vous donc, Allan, tout seul, à cette heure ? — dit-elle. —