Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/252

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pas mortes, la trace des passions effacée, ornière profonde laissée à nos cœurs amollis et qui montre bien de quelle boue ils ont été faits ! Quelque attachement qu’Allan eût pour Camille, quelque bonheur qu’il éprouvât dans l’intimité de l’aimable enfant, un motif qui n’était ni cet attachement ni ce bonheur lui rendait, à l’insu de Camille, cette intimité plus précieuse encore.

Ce motif, c’était sa situation vis-à-vis de madame de Scudemor. Elle l’avait tellement embarrassé le jour où elle l’avait prié de quitter les Saules pour Paris, qu’il ne douta pas une minute qu’elle n’eût pénétré ce qu’il lui avait caché jusque-là. N’y avait-il pas du bonheur — du bonheur un peu railleur, il est vrai, — dans les allusions qu’elle avait faites à cet amour du monde qu’il avait montré en Italie ? Ces allusions, il les craignait plus positives encore. Il craignait de lui avouer qu’elle ne s’était pas trompée, et il répugnait à cet aveu. Comme il n’avait pas osé en prendre l’initiative, il ne voulait pas davantage la subir dans la bouche d’Yseult. Vue étroite, mesquine, vaniteuse, mais qui le dominait irrésistiblement, car on ne se juge pas séparément de la passion que l’on porte en soi.

C’est quand les passions finissent que l’homme s’aperçoit des germes mauvais dont il a recueilli les fruits. C’est alors qu’il peut inventorier les tristes éléments dont elles sont faites, amer examen de conscience qu’Allan ne s’était pas épargné. Mais ce n’est là que la moitié du mal encore. De toute passion il reste à l’âme une habitude de mollir dont souvent elle ne guérit pas, une énervation qui ne s’arrête pas aux organes. Traînerie honteuse dont on ne voit pas aisément le bout. Terribles conséquences, irrésistible fatum, qui n’empoigne pas vigoureusement et qui mène, —