Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/262

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Il ne se demandait pas à quoi les jours actuels devaient aboutir… Il avait souffert de grandes douleurs, et il en était guéri comme d’une maladie qui rend plus apte à l’existence. Il s’était trouvé petit, souillé, lâche longtemps, et voici qu’il pouvait l’oublier. Trêve honteuse, engloutissement de la conscience dans l’imagination et dans les nerfs ! Il avait étouffé la sienne, témoin importun de toutes ses débilités nouvelles, dans l’ouate et la soie de sa vie sans issue. Il l’avait étouffée comme Desdémone, mais sans fureur, sous quelque coussin de ces divans où chaque jour, entre ces deux femmes, il s’efféminait davantage. Il n’était pas heureux du bonheur poignant et absolu de Camille. Il n’avait plus ni la fraîcheur de l’âme, ni cette énergie primitive qui n’a pas été lassée encore. Mais il l’était de je ne sais quelle vague béatitude. Ses anciennes souffrances n’étaient plus que le songe de sa pensée. N’y a-t-il pas des jours dont les flots bleus s’étendent dans l’âme rassérénée et en couvrent tous les souvenirs ? Mais comme ce Léthé tarit vite et n’apporte qu’à de longs intervalles ses illusions consolantes, Allan pouvait rendre grâce au présent de se poser entre lui et le passé. L’un lui cachait l’autre. Tout ce qui aurait pu le lui rappeler s’effaçait, même en madame de Scudemor. Elle ressentait davantage les approches de l’âge. Les signes d’une vieillesse prochaine ressortaient au dissolvant contraste de la jeune beauté de Camille. Allan ne reconnaissait plus son idole. Il n’avait plus devant les yeux la beauté longtemps adorée, comme un muet et éclatant reproche de la fragilité de son amour. Heureux, en cela du moins, si c’est un bonheur, hélas ! — si plutôt, hommes pétris de poussière, nous ne restons pas stupides devant le reproche sans en