Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/272

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Noble mouvement que Dieu seul jugea, car elle s’y méprit et, avec une voix des entrailles, quand les entrailles saignent :

— Pourquoi me repousses-tu, Allan ? — s’écria-t-elle. — Ô Allan ! pourquoi me repousses-tu ?… Qu’est-ce que je t’ai fait ?…

En la voyant retomber dans l’état où elle était tout à l’heure, ne réfléchissant plus, sous l’effroi qui le dominait :

— Mais je ne te repousse pas, ma Camille, — dit-il, et il l’embrassa précipitamment sur le front. — C’est encore un reste de peur, — ajouta-t-il, en essayant de sourire. — Te repousser, ma sœur chérie ! — et il s’assit près d’elle sur le canapé.

— Oui, tu m’a repoussée, mon frère, — répondit-elle d’un ton bas et grave. — Dis que c’était involontaire. Dis que tu ne pensais pas à ce que tu faisais. Mais tu m’as repoussée… Écoute, tu as peut-être dans l’âme, comme moi, des choses que tu ne sais pas. Pour la première fois depuis que tu m’as juré que j’étais bien ta sœur, pour la première fois, aujourd’hui, je me suis sentie presque changée. Au fond de moi, il s’est passé… je ne sais quoi te dire. Mais ce n’était plus comme tous les jours… Oh ! je vais te paraître bien folle encore, — et sa voix n’était plus grave, mais accentuée d’une émotion, — mais, dis-moi que tu me comprends bien, que tu es de même…

— Oui, je te comprends bien… Oui, je suis de même… — disait lentement Allan, comme un écho fatal, en suivant le cours de ses pensées qui, malgré lui, l’entraînaient.

— Et tu ne sais pas plus que moi ce que tu as ?… — reprit la jeune fille, avec une grâce curieuse de femme et