Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/271

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Il regarda et reconnut Camille entièrement évanouie. La prendre, la soulever et la poser sur le canapé fut pour lui l’affaire d’un instant. Il la réchauffait de son souffle et contre sa poitrine, ne songeant pas à la laisser dans cet état pour appeler du secours. Au bout de quelques minutes d’efforts désespérés et de transes pour la faire revivre, elle r’ouvrit les yeux et le reconnut.

— Ah ! c’est toi ! c’est donc toi ! — s’écria-t-elle en voulant s’élancer à lui, mais en retombant de faiblesse.

— Oui, c’est moi, Camille, — répondit-il, et il l’interrogea sur son évanouissement subit.

— Tu étais sorti, — dit-elle, tout en tremblant encore.

— Je ne sais pas ce que j’avais, mais je souffrais. Ma mère m’a quittée un instant. J’ai entendu un coup de feu et l’effroi m’a fait évanouir.

— Folle ! — lui disait à genoux Allan, devant elle, en embrassant ses mains, qui de glacées devenaient moites comme quand on s’est trouvé mal.

— Oh ! oui, bien folle — reprenait-elle — d’avoir eu tant de peur pour rien, n’est-ce pas, mon frère ?… Gronde-moi donc de ma poltronnerie. N’est-ce pas que je suis bien enfant ? Mais, vois-tu, — jouta-t-elle en se penchant vers lui et en le parcourant tout entier d’un regard altéré, — ne me quitte jamais le soir ! Je ne le veux pas. Aie pitié, — et déjà sa bouche revenait au sourire, — aie pitié des sottes craintes de ta pauvre sœur.

Et comme elle faisait souvent, dans l’admirable innocence de son âme, elle voulut l’embrasser sur les yeux, — mais lui, qui venait de se rendre compte dans la solitude du sentiment dont elle ne discernait pas la nature, la repoussa par un généreux instinct d’honnête homme.