Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/287

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ruisselé en rivières. Cependant le charme souvenu du moment passé embaumait le moment présent, et cela même leur était doux encore. L’âme avait besoin de se détendre, de se replier sur elle-même, pour mieux jouir de sa jouissance. Réfléchir sur son bonheur, n’est-ce pas le doubler ?…

Oh ! si l’amour restait toujours dans nos âmes ce qu’il était pour ces deux jeunes gens, quelle belle chose il ferait de la vie ! Comme il faudrait le pleurer et mourir quand il ne serait plus ! Tout ce que les poètes ont dit du bonheur de s’aimer aurait été grossier en comparaison de celui qui les submergeait. Adorables chastetés au milieu de tous les abandons ! Ils auraient été des pensées que Dieu aurait oublié de vêtir d’une forme moins lumineuse, qu’ils ne se seraient pas autrement embrassés et confondus dans son sein. Seulement, qui respira jamais la fleur sans enlever le duvet soyeux qui la couvre ? et, si on pouvait changer en parfums les couleurs dont elle est ornée, qui ne les fondrait sans pitié avec la fraîche odeur qu’elle exhale pour aspirer en soi tout entière cette fleur que l’on possède mieux encore avec une haleine qu’avec un regard ?…

Cette loi de toutes les créatures les atteignit dans l’élyséenne existence que le sentiment leur avait faite. Un nouveau grain de sable tomba au fond de cette coupe merveilleuse où ils buvaient le feu des étoiles, et, comme il arrive toujours, ce peu de la terre mêlé à toutes les béatitudes du ciel leur rendit ces béatitudes plus grandes encore… Ah ! cette première volupté, ce premier tressaillement d’une autre substance que celle de notre âme, ce premier bond de la chair, enfant sans forme, dans les flancs d’un amour si pur, et qui sans en sortir nous apprend pourtant qu’il a vie, est le moment le plus complet en bonheur car c’est