Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/286

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— Oui, je suis orpheline comme toi, — reprit-elle. — Aimons-nous, Allan, aimons-nous comme deux pauvres enfants qui n’ont jamais eu de tendresse de mère à recueillir. Vois-tu ? je serais presque fâchée que ma mère m’aimât à présent. Je suis heureuse d’être orpheline, car n’est-ce pas être toi davantage ? — Et elle le regardait de manière à le faire évanouir, s’il n’avait pas penché son front sur son épaule, inondé des plus pures délices et se complaisant dans la suavité des larmes qui emplissaient ses yeux. Elle, plus jeune et plus frêle, soutenait sans faiblir cette tête pleine de pensées, ce front auquel la douleur avait déjà mis son sillon. Elle était fière de l’émotion qu’elle produisait en cet homme, son frère aîné en force comme en âge. Quelle est la femme qui n’a pas fait délicieusement la mère avec son amant, et n’a pas bercé comme un enfant, sur sa poitrine, son protecteur et son roi ? Elle ne pleurait pas, comme Allan, mais souriait… Ses yeux, baissés vers lui, répandaient une flamme plus longue que ses cils et plus douce que les reflets d’un soir de mai. Ses brunes joues, qui avaient toujours un peu de l’opacité de leur teinte foncée, devenaient transparentes en rougissant. Il semblait qu’une lumière — mais une lumière de carmin — y coulât, sous le velours de pêche mûre, comme un fluide rayonnant. Plus radieuse et non moins touchante que la blanche mère du Corrége, son enfant à la mamelle, les larmes tremblantes à la joue et inondant le sourire on eût compris, en la voyant, de combien le pur amour de la vierge l’emporte sur l’amour maternel.

Mais Yseult venait-elle à rentrer, elle interrompait ces longues extases et ces félicités inouïes. L’épanchement n’était plus qu’un mince filet d’eau à la place où il avait