Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/292

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comme des vieillards. L’amour venait de conduire leur pensée aussi loin qu’elle pouvait aller dans l’infini ; mais, du sort dérision amère ! des bords de l’éternité où ils étaient, ils revinrent tout à coup à la vie. Chute profonde et pauvre chose que l’âme humaine, puisque les ailes lui manquent si tôt et que, du plus pur de ses rêves où il emportait sa gorge sanglante, l’oiseau divin doit retomber !

Ils restaient, rien ne se disant, les mains unies. Elle, accoudée sur ses genoux en face de lui, son visage altéré par le malaise d’un amour et d’un bonheur trop grands. Les traces d’insomnie qui le sillonnaient, ces yeux chargés, ce sourire languide, cette humanité consumée par la flamme intérieure, et surtout ce désir du sacrifice, ce désir de mourir pour lui au plus profond du bonheur même et qui était toute sa souffrance, la rendaient plus belle qu’une martyre. Ah ! que devait-elle apparaître à celui qui s’était lavé des souillures des premières caresses dans le recueillement de la pensée et la honte d’un amour de chair ; à lui, son frère, sa vie, son âme, qui s’était pardonné de l’aimer et rassuré sur l’avenir à cause de la pureté de l’amour qu’il avait pour elle ? Que devait-elle lui apparaître, à lui qui, ne soupçonnant plus un bonheur de plus avec elle, venait de lui proposer si simplement de mourir ? À cette heure, même pour un autre que pour Allan, Camille rayonnait mille fois plus d’âme que de beauté corporelle ; mais pour lui, qui adorait surtout son âme à travers cette beauté du corps qu’elle rendait plus grande, Camille ne devait-elle pas être un objet sacré et religieux ?…

Cela devait être, et cela ne fut pas ! Faut-il maudire la nature humaine ? Âmes tendres, que vous croyez pures, fermez ici ce livre et ne le r’ouvrez plus !… Leurs haleines,