Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/293

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qui tant de fois avaient passé sur leurs fronts candides sans n’y laisser que le froid bientôt évaporé d’un souffle, leurs haleines frôlaient leurs visages. Celle de Camille, ordinairement saine et fraîche comme la rosée de mai dans un lys, avait quelque chose d’acre, de brûlant et de malade. Les femmes, ces Ironies incarnées, dans ces mystérieux jours de souffrance toujours ramenés mais éphémères où elles ne veulent de l’amour qu’au bras sur lequel elles puissent chastement s’appuyer, ont de ces haleines sans pureté qui font du cœur une sensitive et coulent un frisson dans les os. Camille traînait longuement la sienne et sa bouche était entr’ouverte. Les deux coins en étaient noyés dans une humidité savoureuse, imperceptible écume des flots du cœur laissée dans les plis du sourire. Allan vint à frémir au toucher de ce souffle, chaud et froid tour à tour comme la menthe, mais imprégné de fièvre et de je ne sais quelle odeur irrespirée et sans nom… Le sang lui battait aux artères, mais c’était peut-être l’extase du cœur. Il se penchait toujours un peu plus vers elle, et elle, dans sa contemplation muette, s’inclinait vers lui à son tour comme pour confondre leurs pensées dans quelque baiser fraternel et pudique, tout plein de la sécurité sainte du sentiment dont ils étaient animés.

Des quatre mains unies, deux cependant se dénouèrent ; l’une enlaça le corsage de Camille, l’autre, plus lentement encore, se suspendit au cou d’Allan… Entre ces quatre lèvres, il n’y avait plus à peine que le mol intervalle de celles de Camille quand, sur un fond clair comme celui de la fenêtre, on la regardait de profil. L’atome d’air qui les séparait fut bientôt dévoré. Pour la première fois, le baiser dura plus que le temps d’un contact faiblement