Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/300

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jouée et à l’aide de laquelle ils ont endormi leurs scrupules !

Et, en effet, ce n’était pas même elle, dont il redoutait les ardeurs, qui l’avait entraîné. Il n’avait pas cette chétive excuse à se donner. Il croyait avoir soulevé son âme de la borne des amours vulgaires. « Elle n’est qu’innocente, cette enfant, — pensait-il, — mais moi, je suis vraiment coupable, car tout ce qu’elle ignore, je le sais. » Et, cependant, ils s’étaient rencontrés tous les deux à moitié chemin de la caresse. Il s’était bien méprisé pendant son amour pour Yseult ; maintenant, il recommençait cet abominable mépris. Les souffrances que ce mépris de soi lui avait fait endurer étaient peu de chose en comparaison de celles qui l’attendaient désormais. Douleurs cachées ! Ah ! puisse-t-il ne pas les trahir ! Mais, lâche de son amour pour elle, il n’osait prendre de ces résolutions décisives qui l’eussent arraché à ce rapace mépris qu’il prévoyait. Il voilait à ses propres yeux les profondeurs de son égoïsme, et il cachait son besoin de voir Camille sous les craintes de son amour pour elle, peut-être en les exagérant : « Si je la quittais, elle se tuerait, » disait-il, et il restait.

Quant à l’avenir, il se hérissait à son approche.

Il se demandait, avec une anxiété qui allait grandir, ce qu’il deviendrait avec cet amour sur lequel il s’était mépris et qu’il avait cru longtemps une tendre amitié fraternelle ?… Comment avouer l’amour de Camille à cette mère de Camille qu’il avait aimée et qui s’était donnée à lui par le fait d’une pitié, le seul sentiment qui fût resté à sa grande âme ? La figure d’Yseult se levait maintenant dans sa pensée à côté de celle de Camille et l’épouvantait, et il fallait cacher son épouvante à Camille pour ne pas lui déshonorer