Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/301

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa mère. Effroyable effort vis-à-vis de cette fille ivre d’amour, mais dont il ne pouvait plus partager l’ivresse. Trop de crainte et de honte s’y mêlaient. Les jours passèrent, creusant cette nouvelle souffrance qu’il cacha sous un front menteur.

Ah ! mentir avec la femme qu’on aime, ne pas pouvoir arracher son âme des triples gonds de sa poitrine pour la lui étaler sous les yeux, être seul avec le vautour caché d’une pensée jusque dans les bras de sa bien-aimée, croyez-vous que ce soit là une douleur ? Elle était si acharnée et si poignante pour le malheureux Allan, que l’amour et les caresses de Camille ne pouvaient qu’un moment l’endormir. Mais quand son front en reflétait quelque chose, elle imaginait que ces tristesses venaient de la disposition noire et défiante dont il lui avait parlé, et elle s’étonnait que cette disposition résistât à l’opiniâtreté de ses baisers.

Mais ce n’était là, dans son bonheur à elle, qu’une nue rapide que le plus léger souffle emportait ! À être triste, elle le trouvait plus grand et plus beau. Il devenait un type de poésie sombre et mâle qui plaisait, comme tous les contrastes, à son imagination de jeune fille, et qui excitait ses transports. C’est là un des prestiges de la douleur, mais Camille ne se doutait pas à quel prix son amant l’achetait. Dieu avait ouvert pour cette enfant le trésor de ses miséricordes, et n’est-il pas vrai, ô vous qui n’avez pas tant reçu, que, plus tard, elle pouvait être malheureuse sans avoir à l’accuser d’injustice !

Camille ne savait pas, elle-même, quel était le plus doux de l’avenir qui s’ouvrait à ses espérances ou du moment dont elle jouissait. Non seulement elle éternisait son amour, audace qui semblait lui être permise car à l’encontre de